Samedi saint

   

     “Un grand silence règne sur la terre, un grand silence et une grande solitude”. Ces paroles d’un auteur des premiers siècles du christianisme résonnent plus encore en ces jours. Mais dans ce silence pesant un autre silence est en train de naître. C’est à peine perceptible, c’est au fond des abîmes que quelque chose est en train de changer. 
     Il faut l’amour tenace des femmes venues au tombeau, la veille de Marie dans l’espérance pour soutenir notre espérance. Mais tendons l’oreille : les pas du Christ s’approchent de nous…
    

De la première lettre de Pierre
au chapitre 3 versets 18 à 20

 

     Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit.

 

     C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux esprits qui étaient en captivité. 
     
    Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau.

La Résurrection du Christ, les Saintes Femmes au Tombeau, et saint Dominique”
Fra Angelico (détail)

Prier dans le silence de ce jour :
les femmes et l’Esprit veillent 

 Depuis de longues semaines, le silence s’est installé dans les rues et sur les places de nos villes d’habitude si animées. Un silence plein d’incertitudes, de questions et de rumeurs, un silence inquiétant, assourdissant parfois.
 
     Mais en ce samedi saint, c’est un autre silence, un silence paisible et profond, qui enveloppe notre monde en proie à l’angoisse. Aujourd’hui, la Parole éternelle se tait. Dans la douceur de son amour, le Christ, le Verbe fait chair, lui, le seul qui ne devait pas mourir, est entré dans le silence de la mort.
 
     Les femmes qui le suivaient fidèlement depuis la Galilée se sont arrêtées à la porte scellée du tombeau. Et nous nous sommes arrêtés avec elles pour contempler un grand mystère….
 
     Sur terre, tout est achevé.
 
     Mais le Christ du samedi saint poursuit la course de son amour fou. « Le premier né d’entre les morts » (Col 1, 18) s’en va « prêcher le salut aux prisonniers de l’ombre » (1 P 3, 19). Il descend et descend encore, par le silence du tombeau, jusqu’au cœur de nos enfers, de cette extrême solitude désertée par l’amour de Dieu.
 
     Le Christ descend plus bas que notre désespoir, plus bas que nos angoisses, plus bas que nos péchés, plus bas que notre mort. Il prend pour toujours la dernière place. Afin que l’abîme du mal ne puisse jamais combler l’abîme de son amour.
 
     Chers amis, entre la Croix et la Résurrection, nous sommes entrés aujourd’hui dans la pénombre d’un long samedi saint, une pénombre dont nous doutons peut-être de voir un jour la fin ; et notre espérance repose encore dans le silence comme le Christ repose dans le tombeau. A vues humaines, c’est vrai, nous avons de quoi être effrayés et bouleversés par les événements de ces dernières semaines et il peut nous paraître difficile de trouver des raisons d’espérer en l’avenir.
 
    Mais, à la porte du tombeau, « les femmes et l’Esprit veillent Jésus qui dort» (Olivier CLÉMENT). N’ayons pas peur, approchons-nous, nous aussi, et nous entendrons l’Esprit Saint qui murmure déjà, au cœur de notre monde et en nos cœurs, que l’Amour est plus fort que la mort.

Le roi dort

 

   
Du Pseudo-Epiphane

au IVe siècle

 

    Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée parce que Dieu s’est endormi dans la chair et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Mais, comme par son avènement le Seigneur voulait pénétrer les profondeurs, Adam, premier père et premier mortel, captif plus longtemps que tout autre, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur.

Il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison ; alors le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Il saisit la main du premier homme et lui cria : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, le Christ t’illuminera ! Je suis ton Dieu : à cause de toi, je suis devenu ton fils. Lève-toi, toi qui dormais, je ne t’ai pas créé pour que tu restes ici captif de l’enfer. Relève-toi d’entre les morts, car je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains, toi qui as été fait à mon image. Lève-toi, partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi.

Pour toi, homme, je me suis fait comme un homme sans protection, libre parmi les morts. Pour toi qui es sorti du jardin, j’ai été livré dans le jardin et crucifié dans le jardin. Regarde sur mon visage ce que j’ai reçu pour toi, pour rétablir en toi l’image, ta beauté détruite. Mon sommeil te fait sortir maintenant de ton sommeil d’enfer. Lève-toi, partons d’ici, de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière éternelle, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté ! Viens, mon Père attend la brebis perdue ; la salle des noces est préparée, le Royaume des cieux s’ouvre à toi ! »

 

Homélie pour le Samedi Saint et la Résurrection ; PG 43,440s
   

Au creux du rocher

   

   

    

     Quand des jeunes viennent visiter la basilique, on essaie de les mettre dans la peau d’un pèlerin. Certains, d’ailleurs, ont marché pour arriver à Vézelay. Comme les pèlerins, ils s’assoient dans le narthex, regardent, passent la porte. La nef, il faut l’imaginer vidée de ses chaises, et si possible, dans la lumière du solstice d’été : le soleil dessine alors un chemin de lumière, dix tâches éblouissantes qui invitent à continuer la route. Vers où ? Mais vers là-bas, le choeur, plus lumineux encore. Même sans avoir les mots pour décrypter l’architecture, et surtout même sans avoir les mots de la foi, ils le sentent bien : ici, le pèlerin vit déjà en condensé tout son chemin. Il va vers un but précis, une lumière l’appelle, et il marche, encore dans la pénombre, mais confiant. 
     Puis, on prend les escaliers qui descendent dans la crypte. Changement d’atmosphère : il fait sombre, il fait humide. Il y a dans un creux de la roche les reliques de Marie-Madeleine. Il va falloir expliquer tous ces mots, tous ces usages un peu étranges. Mais avant, on s’arrête, et on se pose une question. Si le pèlerin, sur son chemin, fait une expérience condensée, plus forte, du chemin de toute sa vie, dites-moi : c’est vraiment comme cela, la vie ? Un beau chemin tout droit, balisé de lumières régulières, avec déjà dans les yeux toute la clarté qui nous attend au bout ? Même chez les plus jeunes, les têtes se secouent, et disent non avec convitction. Non, ce n’est pas ça, la vie. Alors on comprend que le pèlerin devait aussi descendre dans ce lieu sombre qui ressemble à ce tombeau devant lequel Marie-Madeleine pleure après la mort de Jésus. Inconsolable. Tout est perdu, jusqu’au corps de Jésus. Elle est perdue.
      Mais une voix va retentir. Une voix qui l’appelle par son nom et qui a un accent si familier… Que comprend Marie Madeleine ? Pas grand chose, peut-être. Mais une certitude commence à se faire jour : il y a quelque chose qui a tenu au-delà de la traversée de la mort, un amour qui a été plus fort. 
     Dans la crypte, comme devant le tombeau de Jésus, il n’y a pas grand chose à voir. Mais une amie discrète est là. Elle a pleuré, elle a cru que tout était fini, elle s’est tournée de tous côtés, désespérée. Avec elle, on peut crier sa trop lourde souffrance. Elle nous rejoint là, en silence. Et nous pouvons lui demander de nous aider à entendre la voix qui un jour, bientôt, nous rendra la vie.

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