Vendredi saint

   
     Vendredi saint. Si certains vivent sans difficulté la compassion aux souffrances du Christ en ce jour, d’autres se tiennent plus en retrait, pas toujours très à l’aise. Rachetés à si grand prix… Faut-il se sentir coupable ? Comment être à l’unisson d’une si grande gravité ? Que faire devant un amour qui va jusqu’à la mort pour nous, trop grand peut-être, trop pressant en tous cas ? 
      Vendredi saint 2020 : c’est toujours la croix qui nous est présentée. Mais peut-être, avant de regarder celle du Christ, avons-nous vu bien des souffrances. Celle des mourants laissés seuls, celle des soignants épuisés, celle des familles qui ne peuvent rendre un dernier adieu à leurs proches. La croix, ce n’est pas une invention de Dieu pour nous sauver d’un péché dont la réalité nous échappe. Elle est là, et nous sommes tous là devant elle : souffrance des uns, compassion des autres, lâcheté, parfois, ou égoïsme, car la mort rôde et nous avons peur. Générosité aussi. 
     Il suffit d’être là, comme nous sommes. Et nous sommes à la fois le “bon” et le “mauvais” larron, Marie et le disciple qui s’enfuit tout nu, ou encore Simon de Cyrène, réquisitionné par hasard, et qui a croisé le regard de cet inconnu qui allait à la mort.
      Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise place. Il suffit que la croix soit là, au milieu. Le triomphe de la croix, ce n’est pas que le Christ ait souffert, c’est qu’à travers sa souffrance il n’ait pas désespéré : ni de l’homme, pourtant si faible, ni de son Père. Pouvoir s’en remettre à l’amour d’un Autre, en ces jours, c’est une grande chose. Et quand le Christ se remet entre les mains du Père, la mort devient promesse de résurrection. 
Bonne semaine sainte ! 
    

De la lettre aux Hébreux 4, 14 … 5, 9

 
  “Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.
     Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.”

Déposition du Christ – Pietro Lorenzetti (détail)

Pour méditer l’Evangile : Jésus se met à genoux

   

     Frères et sœurs, aujourd’hui, Jésus meurt cloué sur la Croix, et l’auteur de la lettre aux Hébreux nous dit qu’Il est pour nous le grand prêtre par excellence !
     Voyons comment. Jésus est grand prêtre car il est accrédité par Dieu, son Père comme médiateur entre Dieu et les hommes. Pour cela, il s’est incarné : « il est celui qui a traversé les cieux » (He 4, 14). Solidaire des hommes, il a connu par expérience la situation de faiblesse des hommes, à l’exception du péché. Il a partagé jusqu’au bout notre condition humaine avec ses souffrances, sa détresse. Dans l’angoisse d’une mort imminente, il a offert avec « un grand cri et dans les larmes, des prières à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect (comprenons : en raison de sa soumission filiale à la volonté de Dieu son Père) » (He 5, 7).
     Jésus, pendant son agonie a prié son Père dans un long dialogue (cf. Mt 26, 26-44 : selon ce passage il pria au moins trois fois une heure), qui a abouti à son choix volontaire d’accomplir la volonté de son Père. Et quelle est cette volonté ? C’est de délivrer les hommes de l’emprise du péché qui disperse et mène à la mort. La mort de Jésus, bien qu’étant une tragédie, est le moyen que Dieu a pris pour rétablir la vie aux hommes . S’il y avait eu un meilleur moyen, Dieu l’aurait utilisé, lui qui aime les hommes à la FOLIE ! En obéissant à la volonté de son Père, Jésus se montre le grand prêtre par excellence qui s’offre en sacrifice volontaire pour la vie des hommes. Il « devient pour tous ceux qui lui obéissent, la cause du salut éternel » (He 5, 9).
     Frères et sœurs, nous sommes donc conviés à emboîter le pas au Christ obéissant, afin de libérer sur nous-mêmes et sur le monde entier, les torrents de grâces de la vie divine. En ce temps d’épreuve planétaire, en ce temps de confinement non volontaire que nous vivons tous, saisissons l’occasion concrète d‘adhérer pour notre part à l’obéissance du Christ. En vérité, nous sommes faits pour la VIE en plénitude, et c’est pour la Vie qu’il faut passer par la mort avec le Christ, pour vivre éternellement avec Dieu, à la louange de sa gloire.
     Que le Seigneur répande sur chacun de vous sa bénédiction d’amour.

A cause du trop grand amour dont Dieu nous a aimés

 
   
De saint Bernard au XIIe siècle
 
     Seigneur Jésus, admirable est votre Passion ! Elle a mis en fuite nos passions, expié nos iniquités, car elle n’est inefficace pour aucune de nos maladies. En est-il une, Seigneur, qui ne soit guérie par votre mort ? Dans la Passion se révèle en premier lieu la patience du Sauveur. Patience sans égale ! Lorsque les pécheurs frappaient sur son dos, lorsqu’il était étendu sur la Croix, qu’on pouvait compter tous ses os, lorsque furent percés ses mains et ses pieds, comme la brebis devant celui qui la tond, il n’a pas ouvert la bouche, il n’a murmuré ni contre son Père par qui il avait été envoyé, ni contre le genre humain, dont, innocent, il expiait les rapines, ni enfin contre ce peuple qui était le sien, qui répondait à de si grands bienfaits par de si grands supplices.
 
     D’autres ont souffert avec humilité et patience pour leurs propres fautes. Comment ne pas juger supérieure à toutes la patience du Christ, lui qui est frappé de la mort la plus cruelle, comme un voleur, par ceux-là même qu’il venait sauver, alors qu’il n’avait absolument aucun péché, mais qu’en lui c’était Dieu qui se réconciliait le monde, en lui qui est plein de grâce et de vérité… Et c’est à cause du trop grand amour dont Dieu nous a aimés que, pour racheter l’esclave, le Père n’a pas épargné son Fils, et le Fils ne s’est pas épargné Lui-même. « Personne n’a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. » Le vôtre, Seigneur, a été plus grand encore ; vous avez donné votre vie pour ceux qui étaient vos ennemis. Nous étions vos ennemis lorsque votre mort nous a réconciliés avec vous, et avec votre Père.
 
     Frères, quel amour existe-t-il, ou a jamais existé ou existera, pareil à cet amour ? Si mourir est une grande faiblesse, mourir ainsi par amour est une force immense. Car ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes.
 
Sermon 4 pour la Semaine Sainte
   

Croisade de la paix, 1946

   
   
    
 1146 : saint Bernard prêche à Vézelay la deuxième croisade et sa prédication enflamme les foules de croisés, prêts à partir délivrer le tombeau du Christ. 1946 : on s’apprête à commémorer cet événement qui a marqué l’histoire il y a 800 ans. Mais, au lendemain de la seconde guerre mondiale, il n’est pas si facile de fêter l’enthousiasme de ceux qui certes, partaient au nom du Christ, mais l’apportaient bien souvent dans la violence et le non respect de l’autre. 
     Que faire ? Le père Doncoeur propose une croisade de la paix : les pays qui ont connu la guerre viendront en pèlerinage de 14 lieux, avec 14 croix, et convergeront vers la basilique pour la fête de Marie-Madeleine, où l’on priera tous ensemble pour la paix.
     On attend plusieurs dizaines de milliers de personnes. Pour être aidés dans l’organisation d’un tel rassemblement, les moines de la Pierre-qui-Vire présents à Vézelay demandent de l’aide aux prisonniers allemands qui se trouvent en bas de la colline. 
     21 juillet au soir : toutes les croix sont arrivées, de tous les pays en guerre… sauf l’Allemagne. Il n’a pas semblé possible, en effet, de la faire participer, les blessures sont encore si vives… Mais les prisonniers qui sont là sont touchés par ce qui se prépare. Ils viennent voir le père Doncoeur : “nous voulons participer demain”. Que faire ? Trop inattendu, trop scandaleux ? Mais en même temps, on prie justement pour la paix… Le père Doncoeur dit oui.
     Le 22 juillet, après les 14 croix entrant solennellement en procession dans la basilique, une quinzième s’avance. Elle est porté par des prisonniers allemands, reconnaissables avec leurs vêtements rayés. Elle est plus lourde que les autres, plus brute : les prisonniers l’ont fabriquée avec deux poutres d’une maison de Vézelay calcinée pendant la guerre. 
      Une commémoration difficile devient l’occasion d’un pèlerinage pour la paix. Et à partir de cette initiative, l’Esprit souffle et crée ce qui était impossible aux hommes : le premier geste de réconciliation entre la France et l’Allemagne est posé. 
      En ces jours où le confinement apporte plus de solitude et de silence, il y a peut-être un événement qui ressurgit du fond de notre mémoire, et dont nous préférions ne plus nous souvenir. Ou bien encore, deux bouts de bois calcinés : un échec, une chute douloureuse, une brisure qui laissera des traces vives. Non, la croix du Seigneur ne nous accuse pas. Si nous venons vers elle avec tout cela, elle ne sera pas plus lourde pour lui : il a déjà tout porté, et tout emporté. Il attend seulement que nous lui permettions, même timidement, de le prendre avec lui. D’offrir ces pauvres choses qui nous font honte, et dont il peut faire le lieu où son amour passe. 
      La croix du Christ à Vézelay se révèle dans une croix humaine, celle de la guerre, de la haine et du malheur. Présentée au Christ, elle est devenue pour tant de chrétiens après la guerre et encore maintenant, signe d’espérance. 

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